Cet article se propose d'étudier les évolutions qu'ont connues les principes d'obéissance et de responsabilité au sein de l'institution militaire depuis quelques décennies. S'appuyant sur l'analyse des textes règlementaires en vigueur et de quelques événements marquants de l'histoire militaire, il tente de démontrer que l'armée se voit progressivement contrainte d'abandonner le concept d'‘obéissance passive', qui entraînait une déresponsabilisation de l'exécuteur d'ordre, au profit d'un usage croissant de l'esprit critique et d'une certaine prise d'initiative, dont le devoir de désobéissance à un ordre présumé illégal ou non-pertinent serait l'expression suprême.
Cette exigence se révèle peu compatible avec la nature des missions de défense, la culture militaire et l'état d'esprit du soldat, entraîné à être réactif à des fins d'efficacité opérationnelle, donc à exécuter des directives sans en remettre en cause le bien-fondé. Le fait de désobéir à un ordre implique l'évaluation objective d'une situation dont le militaire, bras armé du politique, n'a souvent qu'une vision parcellaire. Son refus d'obéissance peut, à son insu, se transformer en insubordination, et faire échouer une juste mission. Dans le même temps, les sociétés occidentales, de plus en plus rétives à l'utilisation de la force et soumises à une judiciarisation croissante, tendent à sanctionner toute initiative dont les conséquences se révèleraient malheureuses.
L'article s'interroge sur les effets que ces changements juridiques et culturels peuvent avoir sur le métier des armes. La thèse avancée est que, pris en tenaille entre le respect de l'autorité et la crainte de la faute, le militaire se trouve aujourd'hui dans une position intenable. Quelques études de cas succinctes montrent que cette posture contradictoire peut engendrer des situations pour le moins délicates, l'obligeant à choisir entre l'efficacité de la mission (au risque de la sanction) et la prudence (au risque de l'échec de la mission).
The purpose of this article is to examine the changes that have affected the principles of military obedience and accountability over the last decades. Based on an analysis of the legal corpus bearing on military institutions and the assessment of key historical developments, it seeks to demonstrate that the armed services have gradually been led to abandon the concept of ‘passive obedience' which made those on the receiving end of orders unaccountable, and increasingly rely on subordinates' capacity for critical evaluation and initiative, of which the duty to disobey illegal or irrelevant orders is the ultimate expression.
Such new requirements are hardly compatible with the nature of defence missions, military culture, and the mind-sets of service members trained to be effective in the application of force, hence to execute orders without calling into question their validity or soundness. Disobeying an order implies the objective assessment of a situation of which soldiers, acting on behalf of sovereign political authority, may have only fragmented knowledge. Disobedience is thus apt to equate with insubordination through lack of proper awareness, and lead to the failure of a valid mission. At the same time, western societies increasingly question the use of force and subject action to an unrelenting process of judicial scrutiny, with the result that unfortunate consequences now give rise to prosecution.
The article goes on to probe the effects of such legal and cultural changes on the profession of arms. The thesis advanced is that, caught between respect for authority and fear of erring, service members are now in an untenable position. A few succinct case studies suggest that such a contradictory posture may generate extremely delicate situations in which the choice is between mission effectiveness (at the risk of prosecution) and prudence (which, if taken too far, may amount to dereliction of duty).
Mots-clés
Armée ; obéissance militaire ; responsabilité des militaires.
Keywords
Armed services; military obedience; military accountability.
Citation
Bryon-Portet, Céline, “Du devoir de soumission au devoir de désobéissance ? Le dilemme militaire”, Res Militaris, an on-line social science journal, vol. 1, n° 1, Autumn/Automne 2010.