Résumé
Cet article attribue l'intensité des guerres civiles (définie par le nombre de personnes tuées rapporté à la population globale) moins à des logiques stratégiques ou économiques qu'aux dynamiques émotionnelles déclenchées par des discriminations politiques, économiques ou culturelles. L'apport principal de l'étude est d'expliquer pourquoi de telles discriminations sont de nature belligène. L'auteur estime que ces discriminations sont sources de conflit moins parce qu'elles privent certains groupes de ressources matérielles que parce qu'elles affectent l'estime de soi des acteurs via la distribution inégalitaire des ressources. Il insiste, en outre, sur les effets “belliqueux” probables de l'indifférence et du manque d'empathie du pouvoir central envers les minorités, telles qu'exprimées par la négligence grossière dont il fait preuve dans les opérations de secours après une catastrophe naturelle. Enfin, il voit les violences civiles favorisées par un pouvoir mégalomane qui s'estime plus facilement offensé qu'un pouvoir plus “démocratique”, ainsi que par l'absence de normes partagées rendant le recours à la violence symboliquement moins coûteux. Selon cette thèse, c'est surtout l'écart entre les identités revendiquées par les acteurs et celles renvoyées par les autres qui peut stimuler le recours à la force armée. Cet écart peut résulter soit du référentiel identitaire des acteurs (par exemple, des images de soi collectives “idéalisées”), soit de “stimuli externes”, c'est-à-dire d'expressions de mépris à leur encontre.
Abstract
This article ascribes the intensity of civil wars (defined as the number of persons killed relative to the total population concerned) less to strategic or economic logics than to the emotional dynamics triggered by political, economic or cultural discriminations. Its main goal and contribution is to explain why such discriminations are apt to lead to internal armed conflict. The author contends indeed that they generate violence because the unequal distribution of resources affects the self-esteem of those discriminated against, rather than on account of their sheer material deprivation. In addition, he insists, a central government's indifference and lack of empathy towards minorities, as expressed through egregious negligence during disaster relief operations, are likely to produce “bellicose” effects. Finally, a megalomaniac government, because it is bound to feel more easily offended than a democratic regime, and the lack of shared norms, which renders resort to violence less costly, enhance the chances of conflict. According to the thesis advanced, it is most of all the discrepancy between the identities claimed by actors and those ascribed to them by others that can generate resentment and hostility leading to the use of force. Such discrepancy can result either from a strong identity reference (for instance, “idealized self-images”) on the part of groups, or from “external stimuli”, i.e. expressions of contempt targeted at them.
Mots-clés : Guerre civile ; minorités ; discrimination ; régimes ; reconnaissance ; identités ; logique symbolique.
Keywords : Civil war ; minorities ; discrimination ; regimes ; recognition ; identities ; symbolic dimension.
Citation
Lindemann, Thomas, “Des dénis de reconnaissance à l'extermination : La logique symbolique des guerres civiles”, Res Militaris, an on-line social science journal, vol.3, n°1, Autumn/ Automne 2012.